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Mots et Monts

Le suicide de Madame Trask (A l'est d'Eden de John Steinbeck)

En attendant neige et raquettes, voici revenu le temps de publier ici quelques « mots ».

Dans les années 1960, j'avais vu le film « A l'est d'Eden » et découvert James Dean.

En 1954, lorsqu’il prépare À l’est d’Eden, Elia Kazan a 46 ans. Il vient d’achever Sur les quais avec Marlon Brando. Pour le personnage de Cal Trask, le jeune mal-aimé du roman de Steinbeck, il pense à Paul Newman. En 1955, Nicholas Ray a 44 ans. La Warner lui soumet l’idée de La Fureur de vivre, dont le rôle principal devait initialement revenir à Brando. Mais un autre comédien, émoulu comme Newman et Brando de l’Actor’s Studio (fondé en 1947 par... Kazan), séduit les deux réalisateurs. Il s’appelle James Dean, et n’a encore que son joli minois pour séduire les foules. Très vite pourtant, l’acteur impose son style inimitable, entre improvisation et autisme apparent, faisant exploser sa violence de jeune adulte dans un corps d’enfant, poings serrés mais bras ballants.

* * *

Je viens de relire le roman de Steinbeck. Publié en 1952, le titre de ce roman est une allusion au verset biblique relatant la fuite de Caïn après le meurtre d'Abel :

« Caïn se retira de devant l'Éternel, et séjourna dans le pays de Nôd, à l'est d'Éden. (Genèse 4.16)»


Steinbeck brosse le portrait de personnages en les impliquant dans des situations où se révèle leur complexité. Ainsi, Samuel est plein de force et de sagesse, Cathy pleine de vice et de duplicité...

Dans la 1ère partie du roman (elle ne figure pas dans le film) Steinbeck raconte la vie de deux familles venues s'installer dans la vallée de la Salinas en Californie : celle de Samuel Hamilton et de sa femme Liza, et celle de Cyrus Trask, soldat ayant été blessé à la jambe et propriétaire d'une ferme dans le Connecticut.

Blessé, Cyrus, le mari de Madame Trask, est démobilisé. Sa blénnoragie ne coule plus et lorsqu'il rentre chez lui, il lui reste juste assez de gonocoques pour contaminer sa femme.

Voici le portrait de Madame Trask, personnage mineur dans le roman. Il me plait bien ce portrait aussi flamboyant que les couleurs de l'automne, aussi froid que des stalactites de glace. Il est un combat impitoyable entre le bien et le mal, thème principal du roman et ici, le mal triomphe à cause de rêves …

Madame Trask était une femme incolore et renfermée. Nul rayon de soleil n'avait jamais enflammé ses joues et nul vrai sourire n'avait jamais contracté les muscles de ses lèvres. Elle employait la religion comme agent thérapeutique pour soigner le monde et elle-même. Si le mal évoluait, elle adaptait la religion au mal. Lorsqu'elle comprit que la théosophie qu'elle avait bâtie pour communiquer avec un époux mort se montrait inutile, elle chercha quelque nouvelle raison de souffrir. Elle fut vite récompensée par l'infection que Cyrus avait rapportée de la guerre. Dès qu'elle eut des certitudes, une illumination nouvelle remplaça l'ancienne. Son dieu de contact devint un dieu de vengeance, le dieu le plus magnifique qu'elle eût jamais inventé – et le dernier, d'après la tournure des évènements. Il était certain que sa misère physique était la punition de certains rêves qu'elle avait fait en l'absence de son mari. Mais l'infection n'était pas une punition suffisante pour ses flirts de sommeil. Son nouveau dieu était exigeant en matière de châtiment. Il lui demandait un sacrifice. Elle chercha comment humilier sa chair et son esprit et, finalement, avec une sorte de joie elle trouva la réponse : le dieu lui demandait son propre sacrifice. Elle mit deux semaines à corriger les fautes d'orthographe dans sa lettre d'adieu. Elle y confessait des crimes qu'elle ne pouvait matériellement avoir commis et des fautes bien au-delà de ses possibilités. Puis une nuit, à la lumière de la lune, vêtue d'un linceul confectionné en secret, elle alla se noyer dans un étang si peu profond qu'elle dut s'agenouiller dans la boue et garder la tête sous l'eau – ce qui dénotait beaucoup de volonté chez elle. Lorsque, enfin, l'inconscience l'enveloppa, elle pensa, avec une pointe d'ennui, que son linceul serait taché de boue lorsqu'on la retirerait de l'eau le lendemain. Ce qui ne manqua pas d'arriver.

Cyrus Trask pleura sa femme avec un cruchon de whisky et trois copains de régiment...

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